Les aventures de Riton le champion des ripeurs !
Dans la lignée des exploits de notre Riton favori, laissez-moi vous raconter ce qui constitue l’un de ses plus hauts faits d’armes.
Nous sommes fin des années 70, et le carreau des Halles d’alors ressemble bien plus à une fourmilière, qu’à celui que nous connaissons aujourd’hui.
En cette nuit de fin de printemps, c’est avec demi-heure de retard, traînant les pieds et les mains dans les poches que notre Riton arrive au travail…
On mesure de suite sa motivation, au simple fait que la longueur de sa foulée est inversement proportionnelle à la largeur de ses mâchoires lors de ses multiples bâillements.
A peine arrivé, découvrant le contenu du camion que nous avons à décharger (à la main), celui-ci n’a d’autre réaction que de tomber assis sur une pile de palettes, l’œil hébété.
Il vient de prendre conscience de l’ampleur du préjudice que sa fainéantise va encore subir.
Attitude qui ne manque pas d’éveiller un certain amusement dans le regard de Gilbert mon autre collègue.
Riton a disparu !
Plus tard dans la nuit, alors que nous avons vidé le premier camion, et que le second vient d’arriver, plus de Riton… il a carrément disparu…
Gilbert et moi l’appelons, rien n’y fait, nous avons beau savoir que nous avons affaire à un champion du mode furtif, surtout quand il s’agit de s’éclipser devant la tâche, mais là quand même, il était là à l’instant…
C’est en allant à la chambre froide que Gilbert l’aperçoit dans le bureau du patron, affalé dans le fauteuil en cuir en train de… lire le Sud-Ouest de la veille !
Comprenant d’instinct qu’il était en situation périlleuse, et que nous n’allions pas tarder à l’extraire manu militari du confort douillet dans lequel il s’était réfugié, il sortit immédiatement pour se diriger d’un pas aussi agile qu’alerte vers le second camion.
Dès lors, nous avons face à nous un Riton subitement requinqué, transformé, pour ne pas dire guilleret, ce qui n’est vraiment pas dans ses habitudes, mis à part à l’heure de la débauche.
Cette fois c’est décidé !
Lorsque je lui demande pourquoi il est si enjoué, il me répond tout de go…
« Cette année pour les Fêtes, j’ai vu dans le journal qu’ils vont organiser à nouveau la course des ripeurs, et celle-là les gars, non seulement je vais la faire, mais je vais la gagner ! »
Tenant compte que la course des ripeurs consistait à partir d’un point A, par exemple devant chez Mauriac, pour faire le tour des quais via le pont Pannecau, puis le pont Marengo pour revenir au point de départ.
Jusque là ça va, le seul bémol c’est qu’il faut porter le plus vite possible une pile (généralement) de 20 cageots de bois (cagettes) sans les faire tomber…
Ne voulant rater ce spectacle pour rien au monde, Gilbert et moi entrons dans son jeu, en mettant en avant ses (plus qu’hypothétiques) chances de fulgurante victoire.
En fin de matinée, tout le carreau des Halles était au courant, les ripeurs qui avaient déjà gagné cette course comme « Zita », feignaient leur crainte irrépressible de devoir affronter ce concurrent de légende.
Plus les jours passaient plus notre Riton devenait rayonnant, s’épanchant sur les dernières techniques qu’il avait développées, en vue de la fameuse compétition, devant il faut bien le dire, une assemblée littéralement conquise à sa noble cause.
Les bars du quartier étaient en quelque sorte devenus autant de tribunes dédiées à sa gloire d’ores et déjà affichée.
Ambiance faisant, notre héros commençait à imaginer le Sud-Ouest titrant à la Une : « Riton champion des ripers ! »
S’entraîner, l’obsession de Riton
Du coup notre lieu de travail était devenu SON lieu d’entrainement, à nous les caisses pleines, à lui les cageots vides !
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, et là plus qu’à l’accoutumée, il nous était impossible de déconcentrer l’athlète…
La seule chose que nous nous permettions de lui faire remarquer c’est qu’avec une pile de 5 cageots au lieu de 20, il partait de loin pour réussir son prestigieux challenge !
La tension augmentait au fur et à mesure que les Fêtes se rapprochaient, notre (futur) héros paradait de plus en plus, son pas était de plus en plus alerte, son torse de plus en plus bombé, et ses « interviews » de plus en plus nombreuses.
Sur le carreau des Halles, nous n’attendions plus que le « Jour J » !
Le grain de sable fatal
Sauf que… sauf que… il y avait un paramètre fondamental qui avait échappé à notre énergumène…
Comment à quelques jours des Fêtes, trouver une excuse aussi bidon que crédible pour expliquer au patron qu’il ne va pas pouvoir venir travailler, alors que tout le monde sait (patron y compris) qu’il va participer à la course des ripeurs ???
Prenant conscience du dilemme insoluble, les neurones de notre Riton se mettent en branle, et la (sa) solution lui parut évidente.
Le jour « J », notre athlète est sur la ligne de départ, même à l’arrêt il a les plus grandes difficultés à maintenir la pile de 20 cageots vides en équilibre.
Ça y est ! Le TOP est donné !
Les coureurs s’élancent, ses adversaires prennent une longueur, puis beaucoup plus, Riton dans un effort semblant inhumain peine à porter la pile.
Quelques mètres plus loin il s’étale de tout son long et entame alors ce qui s’apparente à un hurlement à la mort, notre champion est blessé, il se prend la cheville à deux mains !
« J’ai sans doute une grave blessure, appelez vite les pompiers et… le patron, vite ! »
Le stratagème lui a finalement permis non seulement de ne pas perdre la face lors de la course, mais également de bénéficier d’un copieux arrêt de travail lui permettant, une fois de plus, de ne pas travailler pendant les Fêtes.
Vu le nombre de témoins, notre patron lui-même ne pouvait rien lui dire, sauf peut-être lorsque notre Riton a eu la mauvaise idée de lui dire :
« Je me demande si on n’aurait pas pu considérer ça comme un accident de travail ! »
Les règles de bienséances en vigueur sur les Bayonnades m’interdisent de vous donner la réponse…
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Ce sacré Riton ! On ne devait pas s’ennuyer à cette époque.