Quelque peu refroidi par son palmarès d’exploits mémorables sur le carreau des Halles Bayonnaises (voir articles dédiés 1 2 3 4), et surtout ne trouvant plus un seul employeur susceptible de faire appel à ses innombrables talents, notre Riton disparut purement et simplement de la circulation.
Un midi en passant devant « Le Clou », quelle ne fût pas ma surprise d’apercevoir le lascar en train d’échanger avec des clients de l’établissement, le verbe tout aussi haut que son menton.
Retrouvailles
Content de le voir, je m’empresse d’aller lui serrer la main…
« Alors Riton qu’est-ce que tu deviens ? On te croyait parti sous les tropiques ! »
« Oh tu sais, les Halles ne me correspondaient plus, non pas une question de standing, mais tout de même… »
« Ok merci ça fait toujours plaisir, mais qu’est-ce que tu deviens ? »
« Bon je te file l’info, mais tu la garde pour toi ok, c’est très confidentiel, et je veux être le seul à annoncer l’évènement… »
« Ok comptes sur moi, et alors… ? »
« Je suis en train de suivre une formation de haut niveau pour devenir responsable commercial dans les assurances, rien que ça ! »
« C’est génial, mais comment tu as fait avec juste ton BEPC ? »
« Oh c’est simple, j’ai rencontré mon directeur, un peu de bagout, quelques coups d’esbrouffe, et sans doute a-t-il aussi remarqué une certaine prestance… »
« Ah ouais, je ne savais pas que la modestie était une qualité requise pour devenir responsable dans ce métier ! »
« Bon c’est pas tout, j’ai à faire moi ! À bientôt ! » De nos jours on appelle ça « un vent ».
Les semaines qui suivirent furent marquées par l’absence totale de Riton dans les « Chapelles » du Petit Bayonne, chose d’autant plus étonnante que celui-ci est friand d’une certaine boisson anisée…
Le retour…
Un beau matin, mon collègue Gilbert et moi virent arriver sur le pont Marengo une silhouette qui de loin ressemblait plus à un dandy façon old school, qu’à l’ancien ripeur des Halles que nous connaissions.
Plus il s’approchait, plus nous avions l’impression que notre Riton n’était pas devenu simple « responsable commercial », mais plutôt PDG !
Il ne lui manquait que la canne en acajou avec pommeau d’argent, mais il n’y avait sans doute pas encore pensé, sinon…
« Alors les gars, toujours dans vos cageots ? » nous lança-t-il d’un air aussi hautin que malicieux.
« Comme tu vois, mais toi ? Ça y est tu as commencé ? » Curieux que nous étions face à ce Lord capable de faire pâlir James Bond lui-même.
« Depuis ce matin, je suis officiellement représentant exclusif de la compagnie, ce qui veut dire costards pour la classe, plus de xoxas à la fin du mois, et surtout pas de patron derrière pour me surveiller, voyez ce que j’veux dire ? »
« Euh pas vraiment mais tu va nous expliquer tout ça… »
« Sans doute oui, mais pas aujourd’hui, je suis très pris, allez… salut les gars »
Le regard de Gilbert croisa le mien juste avant que nous n’éclations tous les deux dans un fou rire difficile à réprimer.
Quelque temps après…
Quelque temps après, je croise notre dandy en train de siroter un anis dans une chapelle du Petit Bayonne plus connue alors sous le nom de « La Cueva ».
Lorsqu’il me vit, il m’invita à me joindre à lui.
« Dis-moi tu n’as pas l’air très en forme Riton, tout va bien ? »
« Ben… c’est-à-dire que malgré mes atouts, les clients ne sont pas faciles à convaincre, et puis tu sais, le porte à porte c’est pas gagné aucun client ne m’a encore laissé entrer, du coup heureusement que j’ai mon fixe sinon… »
« Tu peux pas te faire aider par quelqu’un de la compagnie ? »
« Ah ça non alors ! Je vais pas me rabaisser à quémander un quelconque soutien ! Bon il faut que je te laisse, j’ai à faire »
Environ 2 mois passent et je vois arriver mon Riton aux Halles…
« Je peux te parler ? »
« Oui qu’est-ce qu’il se passe ? »
« Suis-moi ne restons pas là, les murs ont des oreilles… »
Il m’emmène jusqu’au bord de la Nive au niveau du Stock Américain, jugeant sans doute l’endroit plus propice aux confidences.
« J’ai de gros gros emm.rdes avec ma banque, y me disent que je suis à découvert et qu’ils vont me virer !!! tu vois le tableau ? Me virer à moi… la banque ! »
« Mais tu travailles, tu as un salaire, qu’est-ce qui cloche ? »
« Comprend pas, la compagnie me verse mon salaire fixe depuis 3 mois, j’ai pas plus que le fixe parce que ces @!ù$* de clients ne comprennent rien à rien ! De véritables bourrins, du coup je vend pas, du coup pas de xoxas en plus »
« Tu es bien sûr qu’il n’y a pas d’erreur ? Que la compagnie a tes bonnes coordonnées bancaires ? »
« Si j’en suis sûr ? Tiens regarde j’ai même les reçus dans mon cartable ! »
Hallucinant !
Il me tendit les 3 « reçus »… et là… je n’en crut pas mes yeux en découvrant que les fameux « reçus » de la compagnie étaient en réalité les chèques de salaire de notre Riton !!! !
Persuadé qu’il s’agissait uniquement de reçus, il les conservait précieusement comme éventuels justificatifs en cas d’un tout aussi éventuel contrôle fiscal… Précaution élémentaire due à son nouveau statut social.
« Riton, tu sais que tes reçus sont en réalité des chèques et que tu dois les déposer à la banque afin de créditer ton compte, là en fait, tu as entre les mains tes 3 mois de salaire, je comprends mieux la réaction de ton banquier ! »
« Quoi ??? Tu es sûr de ça ??? Pourquoi y m’ont rien dit ??? Bon… j’y vais j’ai à faire !!! »
« Oui à faire et surtout à faire vite ! »
Riton repassa me voir une heure après pour me remercier tout en m’expliquant que ça s’était arrangé, et qu’on ne l’y reprendrait plus !
Précision
Il est vrai que fin des années 70 beaucoup de Bayonnais (notamment) n’avaient pas de chéquier, ni même de compte bancaire, ce qui peut expliquer la bévue de notre inimitable Riton.
Y veut aussi me virer !
Une semaine après, notre commercial de haut vol débarque au café du midi, on remarque tout de suite qu’il a quelque peu perdu de sa superbe, le menton moins haut, la cravate de travers, mais l’œil toujours aussi vif…
« Après le banquier la semaine dernière, maintenant c’est le patron qui menace de me virer ! »
« Faut dire que de ce point de vue tu as une certaine expérience non ? » lui dis-je en souriant.
« Ouais mais là, moi aussi j’en ai marre ! Hier en faisant ma tournée de porte à porte à Saint Esprit, je « tire une sonnette », la femme m’ouvre avec un grand sourire, son mari derrière elle idem, et à ma grande surprise ils me font entrer… »
« Et alors, c’est bon pour toi ça non ? »
« Euh… ouais… ouais, je leur ai fait mon speech, ils continuaient à sourire contrairement à tous les autres avant eux, là… je me suis méfié… »
Et alors ?
« Alors ? C’étaient des « Témoins de Jéhovah » et non seulement ils m’ont rien acheté, mais en plus ils ont réussi à me fourguer un de leurs bouquins !!! Je suis sorti de là écœuré de la vente, parole ! »
« Ah ouais, effectivement, peut-être qu’il faudrait utiliser tes compétences ailleurs, je sais pas moi… aux Halles ? »
Cette dernière phrase fit bondir Riton qui détalla aussi sec, sans doute hautement vexé par ma suggestion.
Ainsi s’arrêta net la carrière commerciale de notre Riton favori, 2 semaines plus tard il était de retour aux Halles embauché par un grossiste d’Agen qui n’avait pas encore eu vent de sa réputation, mais ça c’est une autre histoire…
Vous venez de lire “Riton un commercial hors compétition !”
Si cette publication vous a plu, n’hésitez pas à le partager, c’est l’objectif premier des Bayonnades… le partage !
Je me suis bien amusée en lisant cette histoire, merci André