Acheteur compulsif, revendeur convulsif… Alfred et sa bosse du commerce !
Afin de ne pas froisser d’éventuelles susceptibilités, je vais utiliser « Alfred » comme prénom d’emprunt pour ce véritable « prodige des affaires ».
Habitant rue Marsan ou il est arrivé dans les années 70, d’un certain âge, le dos voûté et de taille modeste, notre Alfred avait pour le moins un trait prédominant à savoir son nez !
Sans parler de péninsule, on pouvait néanmoins le considérer comme un Cap, mais pas n’importe quel cap, un cap affichant ostensiblement une mosaïque de nuances allant du rose pastel au rouge vermillon.
Alfred était-il retraité, pensionné, subventionné ? En réalité je n’en ai jamais rien su, tout ce que je sais c’est qu’il passait son temps à arpenter les rues du Petit Bayonne d’un pas pressé, une Gitane maïs au bec, avec toujours un objet différent en main.
Un homme méfiant…
Nous le voyions régulièrement discuter dans la rue avec des gens qui semblaient porter peu d’intérêt à son discours, ce qui ne l’empêchait pas de jeter régulièrement des regards furtifs derrière lui…
Nombre d’entre-nous se sont demandés ce qui le poussait à être si actif, si prudent, si distant…
Était-il la tête de pont bayonnaise d’un cartel colombien ? Était-ce un agent infiltré du KGB ? Vendait-il des images inavouables sous le manteau ?
Eh oui… de plus en plus intrigués par son attitude, les commères que nous étions (tous) nous posions ce genre de questions !
Bref tout le quartier l’avait à l’œil…
Un jour je rentre dans le magasin de pêche Harislur rue Bourgneuf et croise notre Alfred qui en ressortait l’air pressé comme toujours.
M. Bolatti gérant du magasin me dit :
« Tu le connais André ce loustic ? »
« Oui il habite rue Marsan, mais je ne le connais pas personnellement »
« Hébé, je ne sais pas ce qu’il fait, mais il vient plusieurs fois par semaine pour m’acheter des lancers légers ou des moulinets »
« Sans doute une passion pour la pêche, bien que je ne l’aie jamais vu pêcher à Bayonne »
« Tu m’étonnes, il n’achète jamais d’appâts, ni fil, ni plombs… rien ! Que des lancers légers et des moulinets »
« C’est sûr que pour user une canne à pêche en 3 jours faut déjà y aller ! »
Ressorti du magasin, je me dis que le mystère s’épaissit, mais nous tenons une première piste sur son activité suspecte…
La rencontre inévitable
Alors que quelques semaines plus tard j’empruntais la rue Marsan pour me rendre aux Halles, Alfred me croisa et m’interpella discrètement avec un « tontonnement » tout parisien qui laissait peu de doute quant à ses origines.
« Ça t’intéresse un moulinet mer à moitié prix ? »
« Euh… ça dépend qu’est-ce que c’est exactement ? » lui répondis-je assez surpris.
« C’est un BAM-600, il est tout neuf, je l’ai acheté hier chez Sorin, je le vends 220frs au lieu des 450 que je l’ai payé »
Tout en ayant le regard attiré par son appendice nasal qui avait encore gagné en nuances foncées, je lui demandai pourquoi il le vendait puisqu’il l’avait acheté la veille.
« Parce que j’en ai d’autres » me répondit-il.
« C’est tentant mais côté moulinets, j’ai déjà ce qu’il faut merci quand même »
« Et un lancer léger neuf à 75frs ça t’intéresse ? »
« Non pas vraiment, là aussi j’ai déjà des cannes »
« Et une montre Yema avec chrono, elle est neuve et je te la laisse à 400frs ? »
Là j’ai commencé à vraiment me poser des questions, qui est ce bonhomme ? Le précurseur d’Amazon ? Le premier hard discounter de l’histoire ?
C’est aussi méfiant que surpris que je décline poliment sa dernière offre, comprenant qu’il a manqué de « flair » en s’adressant à moi, il se retourne dans un grand haussement d’épaules avant de s’éloigner d’un pas toujours aussi pressé.
Je compris alors qu’en réalité, notre Alfred passait son temps à acheter pour les revendre immédiatement à perte toute sorte d’objets aux passants qu’il croisait.
Il avait du nez, mais pas pour les affaires.
Conclusion confirmée par la suite par certains de ses « clients » qui, il faut le reconnaître, profitaient ni plus ni moins de la situation.
En réalité, notre Alfred avait une appétence, sans doute contrariée de longue date pour le commerce, mais aucun sens des affaires, les deux étant parfaitement incompatibles, cela se traduisait tous les mois par une chute sévère et répétée de sa pension de retraite, retraite que certains disaient néanmoins confortable, heureusement pour lui.
Par la suite, il arriva que certains, dont je faisais partie, tentèrent de le ramener à la raison, mais c’était peine perdue car il ne voulait rien savoir, et dès lors ne voulait même plus nous adresser la parole !
Encore un personnage atypique comme Bayonne en connu tant à l’époque, certains d’entre-vous l’ont peut-être croisé…
Vous venez de lire « Alfred et sa bosse du commerce ! »
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