Les soirs de marée montante en été, Roland un ami et moi-même allions régulièrement pêcher sur le pont St Esprit.
Équipés chacun de deux cannes nous faisions parfois un véritable carton, parfois nous rentrions carrément bredouilles, mais nous passions toujours un bon moment.
Mais un soir ce fut un peu « spécial », laissez-moi vous raconter ça…
Il est environ 23h, il n’y a presque plus de circulation sur le pont, les réverbères nous éclairent suffisamment pour poursuivre notre partie de pêche, qui est pour l’instant des plus fructueuses.
En effet pas moins d’une quinzaine de pigates (truites de mer) et de louviates (petits bars) d’environ 600 à 800 grammes chacun, emplissent notre besace.
Cela fait environ deux heures que nous sommes là, et avons déjà dû répondre au moins une cinquantaine de fois aux passants posant l’inévitable question dans toutes ses variantes « Alors…ça mord ?», « Ça pique ? », « Ça donne ?», « Y’en a ? », « Ca picore ? » ou encore le surprenant « Ca suce ? »…
Inutile de préciser qu’à force cela devient, comment dire… irritant, voilà c’est le mot !
Notre pêche étant « faite » et nous très satisfaits, l’heure est désormais à la détente, il ne nous manque plus que le bon « client » pour nous payer une bonne tranche de rigolade.
Un bon client
Il est 23h lorsqu’un passant d’un » style nouveau » approche d’une démarche chaloupée, il nous dépasse non sans jeter un coup d’œil furtif sur la besace fermée, puis revient sur ses pas et s’adresse à nous…
« Bonsoir messieurs, vous êtes d’ici ? »
« Oui bien sûr, pas vous ? »
« Oh non, je viens de Savoie »
« En vacances ? »
« Non, travail, je suis représentant itinérant en pièce détachées automobiles, je suis sur le secteur pour 2 ou 3 jours »
« Ah OK… »
Dès cet instant nous comprenons que notre « bon client » est en face de nous !
Et ce qui devait arriver, arriva… « Alors ça mord ? »
« Oh si peu… c’est très calme en ce moment… »
« Je peux regarder ? »
« Oui bien sûr »
« Waouh !!! Mais c’est magnifique ! J’y crois pas ! Et vous avez attrapé tout ça ce soir ? »
« N’exagérons rien, il n’y a pas grand-chose, et ça fait tout de même déjà 2 heures qu’on est là »
« 2 heures ? C’est vraiment pas grand-chose ! Écoutez les gars, je suis moi-même pêcheur dans ma région, en fait j’adore ça et il m’arrive souvent d’y passer toute la journée, et parfois pour rien ! Alors que là…»
« Oh vous savez, cela doit être la première fois que l’on passe autant de temps pour si peu… , c’est très calme en ce moment, sans doute la lune… »
« Quoi ??? Mais vous en vivez ou quoi ? »
« Pas du tout, la pêche c’est juste un passe-temps pour nous »
« Je n’en reviens pas ! Et après… vous les vendez ? »
« Vendre quoi ? »
« Ben… tous ces poissons ! »
« Ah non, après on va pêcher sérieusement depuis la plage, et ceux-là chez nous on s’en sert d’appât »
Vraiment un bon client
Notre représentant semble frôler l’infarctus, puis nous regarde les yeux écarquillés…
« Vous vous en servez d’appât ??? »
« Oui bien sûr, mais pas entiers on les coupe en deux, on les économise… »
« C’est pas vrai !!! Mais vous attrapez quoi avec ??? »
« Houlà… plus gros… bien plus gros… mais on peut pas dire…»
En entendant ça le pauvre garçon manque encore de s’étouffer, avant de rester comme figé, pensif…
Il faut préciser que notre pêche presque miraculeuse du soir nous confère une certaine crédibilité que nous avons décidé d’exploiter à fond.
Ce n’est que quelques minutes plus tard qu’il revient à la charge.
« Perso ma plus grosse prise c’est un brochet de plus d’un mètre, c’est énorme tout de même non les gars ? »
« Ouais…pas mal… »
« Pas mal… plus d’un mètre… vous trouvez ça… pas mal ??? »
« La seule différence pour nous c’est que, comme appât, au lieu de le couper en 2 on l’aurait coupé en 4 ! »
Là, un peu plus et on appelait le SAMU, et j’exagère à peine, notre représentant était presque en état de choc répétant « Comme appât… en 4… ils l’auraient coupé en 4… »
J’avoue que pendant toute la durée de ce véritable sketch, le plus difficile a été de garder notre sérieux.
Allez, on se voit demain !
Lorsqu’il finit par reprendre quelque peu ses esprits, il nous demanda…
« Et vous êtes là demain soir ? »
« Non, demain on va pêcher la sole »
« Des soles ? Parce que vous vous en servez d’appât aussi ? »
« Non pas du tout, pourquoi vous dites ça ? »
« Et je peux vous rejoindre les gars ? »
« Oui bien sûr… »
On lui donna rendez-vous vers le soufre le lendemain à 22h, et là…
Mais ça c’est une autre histoire que je vous raconterais bientôt… 😉
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une Bayonnaise